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Chroniques 0, 2, 5 (2011)

Chronique 5 : American Way of Life...


Ecrire estompe les heures. Soulagée des images du monde, la tête s’emplit de silence. Elle s’envahit d’imaginaire tandis que les impressions d’enfance sont plus intenses.


Enfant j’écumais les fonds de ma piscine en compagnie d’un dauphin d’où nous remontions les trésors engloutis. Ils s’entassaient en profusion sous les palmiers, et je les voyais avec autant de conviction que ma mère.


De toutes parts des images nourrissent ces rêves originels et insidieusement les amoindrissent. Génération à qui l’on donne des rêves tout faits plutôt que de laisser grandir les siens. Il n’est même plus nécessaire de les réaliser puisqu’ils prennent forme trop vite.


On nous dit servis à l’abreuvoir du monde. Je dois parfois encore renfoncer dans des coins de mon cortex des informations afin de faire place à tout ce que je me dois de savoir.


Il arrive qu’une aventure oubliée saute à la face de vos pensées, comme un Gollum surgit des puits humides de l’oubli. Le flou d’un clip musical à la télé, le brouillon d’un rêve incohérent, une certaine heure un certain moment dans un soir d’été…


La ville ne s’étalait pas encore sur les cartes de ma mémoire.


C’était encore ce sentiment de tomber du ciel. J’attendais un bus dans la rue imprégnée d’un désagréable calme résidentiel. Une lumière passe du rouge au vert… du vert au rouge… Au devant et dans mon dos, à droite puis à gauche, rien de connu. Un western matinal à Montréal.

Un bus (qui ne soulève pas la poussière) se traîne jusqu’à moi.


Je n’ai ni la monnaie ni la carte ni le ticket.


On fait une découverte de rien. Et chacun de nos gestes est une manière de pénétrer ce nouveau monde.

Elle est là. Des jeunes gars de la rue revivent sur les banquettes arrière, occupés à rayer sur des cahiers leurs rengaines. Cinématographique. Faite de rien, elle se rend pourtant aussi désirable et iconique qu’une cigarette dans un film, au goût épais, à la fumée suave et moelleuse.


Encore capable d’élucubrations puériles à 25 ans je ne veux pas y croire, de peur d’être déçue.


Pourtant un homme à blouson sans manche sorti de Chasse et pêche réaffirme mes espoirs.


C’est bien elle, si américaine. Elle est comme tant de choses depuis mes 6 ans, elle est ce que nous français n’avons pas. Elle est le ghetto blaster, le lycéen en blouson de sport et le bus scolaire.


Elle est la tirette de bus.

Floride - 2007

Bête ficelle de plastique qui pendouille d’une fenêtre à l’autre, et tressaute sur le chaos bétonneux.

Il y a des satisfactions qui n’ont de sens que pour soi-même. Certes la découverte équivaut le fil à couper le beurre, mais elle retrouve aussi l’intensité des 8 ans quand je me hissais sur la pointe des pieds pour attraper la sangle des bus, et faire ma grande.


Des questions qu’un natif ne se pose pas, ou plutôt des questions que des têtes comme la mienne perdent du temps à se poser, surviennent :

Est ce que je ne risque pas de tirer trop fort, ou pas assez ? Et si elle me reste entre les mains ?


Pourtant l’arrêt est proche.


Je lève le bras discrètement.


Une autre rue passe. Autour de moi les quelques passagers du milieu de matinée somnolent dans le soleil des vitres.


Ma paume se referme sur le pvc jaune, et tire délicatement. Ou plutôt mollement.


Rien.


Les visages qui me prennent pour une idiote vont bientôt se tourner vers moi et ouvrir un œil morne sur ma stupidité.


Déjà paniquée, j’insiste sur la pression et relâche.


La clochette tinte et le voyant rouge apparaît.


Soulagée je me lève, si américaine, si pénétrée du pays, si conquérante. Je sors du bus le pas alerte, encore une journée à Montréal.


Je suis descendue deux arrêts trop tôt.


 

Chronique 2 : Saisons


Une fois la vie au fond du cœur, elle remonte au principe des saisons. Les aînés réclament ma jeunesse. Je suis le miroir de ces nostalgies fuyantes, où des regards soupirent leur temps révolu. Ils ont bien vécu et j’envie les faits extraordinaires que leurs yeux me renvoient. Ils exigent de vivre pleinement et sans regrets. Promesse insupportable, à croire qu’ils creusent déjà leur tombe ! Je connais aussi des caboches de mon âge tournées sur leur adolescence. Ils vieillissent tôt, pour arrêter de penser vite. Ils prétendent ne voir que des poneys roses dans les cours de nos lycées. Deux semaines depuis mon arrivée. Le projet de scénario s’embourbe, mais la ténacité que me procure la ville est bien là. GRANDIR ! Invitée vendredi dernier à la crémaillère de (très) jeunes camarades français. Mon statut d’aïeule me déchargeait de cet éternel soucis féminin : PLAIRE. Ainsi je m’amusais sans peur des conséquences à enfiler différentes allures héroïques. Approcher une attitude d’autiste (Daria) ou de sombre romantique (Nana) ? Le principe des saisons s’éleva des cataclysmes de nos vies, forts de nos amitiés face au paria amoureux. Il donne le goût à l’alcool triste et la rage des jours à venir.


Semblable à une série télé, la vie se considère comme un agencement d’épisodes, ponctuée de péripéties et de résolutions. Septembre marque le début d’une nouvelle saison, et ce jusqu’à Juin.


Au sens télévisuel, le scénariste doit s’appliquer à la vraisemblance du récit en donnant l’impression du fortuit. Il réduit la force décisionnelle du héros, et empêche le spectateur d’anticiper. Ainsi démunis, chaque épisode alimente notre frénétique impatience à savoir, muets dans la clarté radieuse de nos écrans.


Passons la strophe moralisatrice de nos générations sans repères qui fuient la réalité dans la surconsommation virtuelle.


Au réel, l’inattendu n’évoque que pénibilité. Il faut le « confronter ». (Une lance en main et les genoux claquants).

Cet horizon belliqueux estimé à l’aube d’une saison, s’ouvre à une vaste voile homérique, portée par une légère et splendide certitude : IL VA SE PASSER QUELQUE CHOSE !


Vous avez regardé 72 minutes. Veuillez vous trainez d’un doigt las et frénétique afin de rebooter votre pc. Drame.


Suivi de la première pensée résiduelle du spectateur lambda : c’est le dernier que je regarde.


Devenus arrogants, nous invitons le hasard à piocher nos vies au petit bonheur la chance.

Les problèmes sont réduits à leur caractère ponctuel. Mue à l’état ectoplasmique depuis son départ, mais le regard plus averti, vous savez déjà qu’il se révèlera n’être que l’élément perturbateur du cinquième épisode à la troisième minute, et encore, de la sous-intrigue. Ou vous avez bien peu d’estime pour en faire l’enjeu principal.


En bout de course, épuisé par le suspense, il arrive que la tragédie creuse le ventre (voir Dexter, 4ème saison verset 12, « Guet-apens »).


Pourtant, même confronté à l’impasse (Buffy contre les vampires, 5ème saison, 22ème épisode, « le sacrifice »), le spectateur persiste: comment vont-ils s’en sortir ?

Public tenace, nous voulons encore y croire. Le meilleur protagoniste est celui qui perd tout en gagnant le plus. Nous sommes tenus en haleine car Buffy trouve la mort tout en s’accomplissant.

Accompagnée de la deuxième pensée résiduelle : je ne tiendrai jamais jusqu’à septembre prochain.


Ceci dit vous pouvez éviter le drame en ne faisant rien…


Rien… (yeux de bille).


Le pari de la grande Amérique, cette falaise bretonne flagellée par les vents, fait maintenant figure d’un remous épaissi des joies et des peurs à venir, à peine endormies et déjà en éveil.


Seule la pleine et excitante densité de la vie déjà en mouvement peut donner un véritable impact au dénouement.


Chez mes camarades français la fête bat son plein. Je me retire à une heure respectable où mon âge n’a plus à faire parmi cette innocente décadence. Déjà quelque peu gênée de ma présence, je ne souhaitais pas compromettre mes fermes résolutions d’automne (grandir).


Inutile de jouer l’irritable résumé d’épisode « Previously in breaking Bad », pour que les saisons précédentes confirment le bien fondé du principe.


Assise à l’arrêt de bus au paisible silence des lampadaires ponctuant l’avenue de leur somnolence, j’écoute me parvenir les échos de ma première vingtaine. Ils me ramènent à Bruxelles, où notre grande maison fut pareillement embroussaillée de nos regards en biais, nos secrets de couloirs, et les rires de nos malaises…


Eloignés de l’écran, la profusion de déboires et de relances des saisons précédentes met en effet à jour la pleine générosité de la vie, dont je n’aurai pu soupçonner toutes les surprises. Je la réclame alors qu’elle ne fait que m’attendre !


Nous accordons d’ailleurs une tendresse particulière aux dessins animés de notre enfance, et la malfaisance du streaming amène ainsi à de grandes pertes de temps (voir Dragon Ball 153 épisodes de 25 minutes, soit plus de 63 heures à « chiller » sur son lit).


Grelottante je me loge sous l’abri de plexi. Le doute bien sûr me prend. Ne suis je pas en train de jouer le jeu du conformisme social en prétextant grandir? Le froid ramène la clairvoyance. Tenir le rôle de l’aînée assagie n’a rien d’agréable, et je préfère bien être la jeune d’un autre…


Le bus arrive. Encore faut-il savoir de qui…


Ah si nous étions aussi déterminés que nos héros, plutôt que ces avatars indécis ! Il est vrai que nous avons peu d’emprise. C’est peut-être parce que nous serions de biens piètres scénaristes de nos vies !


Je monte… j’aurai du rester, profiter, et arrêter de me prendre la tête…


 

Chronique 0 : Le départ


Je manque définitivement d’esprit conquérant.


J’ai perdu pieds en dix ou trente secondes, et ces mêmes pieds se sont retrouvés à balloter au-dessus du vide. Traverser l’atlantique sur un radeau de fortune et un bas de pyjama tenaillant les vents pour tout bannière est une idée fort stupide. Pourtant c’est à cela que se résumait ma force de volonté sur le moment.


Le combiné téléphonique m’annonce que je pars au Canada en Septembre (Il ne s’agit pas d’une l’opportunité mais d’un fait. A aucun moment je ne me suis même laissée le choix). Mon manque de clairvoyance refusait d’admettre que de tels mots sortent d’une bouche humaine.


En raccrochant, je demeurai stupidement assise, tandis que mon futur se mettait déjà en mouvement, LÀ BAS. La vie allait encore au fil d’un gracieux cours d’eau, alors que tout se jouait déjà, avant même d’y être… LÀ BAS. Seul ce qui se passerait « LÀ BAS», importait. (Marquer une pause avant le « là bas » pour souligner la tension dramatique émanée de ces mots).

… A MONTREAL !!!


Je faisais un jour remarquer à l'homme sans bras que les points d’exclamation de ses textos ne servaient qu’à donner du poids à des mots vide de sens. (Je m’en souviens parce que dans le contexte c’était très bien balancé). Ecrire en majuscules rejoint cette idée…

Mais jouissif.

… A MONTREAL !!


Auprès de vos amis (alias mes guizmos), la simple formulation de ces mots suffit à vous nimbez de l’auréole de l’expatriation. Cette auréole peut potentiellement être un atout séduction pour la période estivale. Excepté dans mon cas, évidemment.


Les trois mois suivant cette action de grâce laissent le souvenir d’un effarement constant. Mes chers guizmos ne tarissaient pourtant pas de conseils bienveillants, que mes oreilles ne voulaient pas seulement entendre. Ça ne percutait pas, le comble est que j’y mettais toutefois ma meilleure volonté.


De nature névrotique, j’en arrivais à m’inquiéter d’être inquiète du fait que personne ne l’était à part moi.


Pourquoi n’étais-je pas plus heureuse de partir?


Je guettais la levée d’adrénaline qui tenaille habituellement mon ventre avant chaque voyage. Rien. Etais-je désabusée ou déprimée ? Ou peut-être déprimée d’être désabusée ? Je suis pourtant une véritable « addicte » des palpitations cardiaques dues à l’impatience du départ lorsque je m’envolais pour Bombay, New-York ou Prague…


Paf ! Premier jour de blog, je colle mes voyages comme des punaises sur une mappe monde. J’invoque l’enfant de Corto Maltese, aussi crâne que le mec à sarouel qui tente de vous draguer à la table d’à-côté.


Ne vous emballez pas et méfiez vous des phrases toute faites.


Alors que je m’encombre de ces finasseries, les amis bienveillants rêvent à ma place et mieux que moi. A les entendre j’allais poser pied sur le sol canadien et me transformer en Sailor Moon (Magicienne héroïque de manga japonais en costume de collégienne).


Partir, ou plutôt l’idée de partir, rend léger. Les esprits croient en des vols d’oiseaux, des phantasmes de vies différentes et simples.


Ainsi je bondis de l’avion, d’un saut de biche je rentre dans un bar, je me cogne à un beau garçon, tandis que d’un rire gracieux une jeune fille propose de rejoindre leur colocation : une vendeuse de légumes bio, un dj électro, et un architecte talentueux. Nous échangeons sur nos avenirs et nos projets, mangés d’une envie frénétique de vivre. L’effervescence de la pensée mène à la confiance et très vite mon talent s’impose au monde artistique montréalais. Je joue avec séduction et délicatesse de ma french touch et de ma spiritualité. Quelque part enfin je tombe sous le charme de l’homme de ma vie.


Et tout cela sans argent.


C’est ce qui s’appelle mettre la barre haut. Sans mauvaise intention, la démesure dépeinte par mes amis ne faisaient qu’accroître mon angoisse.


Les guizmos larguent donc avec entrain les amarres de mon bateau alors que je les serre encore désespérément dans mes bras, sans même assez de vivres pour la traversée. Accrochée au bastingage je leur adresse des aurevoirs de chien battu (un mouchoir à la main, mon désappointement signifié par une goutte sur la tempe d’un manga japonais).


Fatalité ! L’idée de départ n’inclut pas le droit à l’erreur.


D’ailleurs, qui paye une assurance voyage en low cost ?


Il est en effet absurde de pouvoir rater quelque chose qui n’existe pas. Partir est une aubaine au changement grandeur nature et un concept propice au miracle.


Partir en vacances est une chose. Partir tenter le tout pour le tout en est une autre.


Bien qu’existentiellement palpitant, le départ se constitue d’un prêt à la banque, de plusieurs complications administratives, et d’un surplus de bagages.


Il est également fort dommage de constater une fois sur le sol canadien, que les couches atmosphériques ne m’ont en rien dépressurisé de ma réserve ni de mon sale caractère.

Enfin le plus frénétique de ma vie actuelle consiste en une semaine de cours (passionnante je dois dire), une pièce de théâtre et une ballade en vélo dans un parc. Extase.


Le constat est assez vexant, mais présente la dure réalité d’un débarquement solitaire en pays froid, et Picsou accroché à mes basques. Je suis même quelque peu honteuse de ne rien offrir de plus croustillantes aventures à mes amis.


Bâtir un nouveau quotidien prend du temps. Trouver le cadre de vie avec en ligne de mire la réussite professionnelle, ne coïncide pas ou peu avec une constance de l’inconséquence festive. Et j’emmerde celui qui ne trouve pas cela assez « fun » (expression québécoise).


Il est évident que mon immaturité n’offre pas facilement à la nostalgie mes années estudiantines. Seulement mon réseau sociale ne s’étendra qu’à long terme. A l’instant, la frustration de ne plus pouvoir déverser mes angoisses post adolescentes dans les soirées bruxelloises s’accommode tant bien que mal de l’état d’esprit « so healthy » nord américain. Qui n’est pas pour me déplaire.


Accepter que les choses se construisent avec du temps ne signifie pas, ou même au contraire, des envies moindres ou peu vibrantes. J’ai plus envie que jamais de faire mes preuves à la face du monde.


Dans ce scénario filmique d’ascension sociale, je retrouve l'homme sans bras et crâne avec délectation devant son irritable médiocrité.


Il est également évident que si les élucubrations vacancières doivent être mesurées, je remercie mes guizmos et ma famille d’avoir supporté les plaintes geignardes de ces trois derniers mois et aidé à reconstruire mon mojo.


Car un mojo ne peut s’éveiller que dans la démesure et la folie. Il est en effet absurde de ne pas se permettre de rêver quelque chose qui n’existe pas… Encore !


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