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Chroniques 6, 7, 9 (2012)

Chronique 9: Gertrude en Bixi et quelques remarques


Gertrude réalise qu’elle ne comprend pas, rien, plus rien ou si peu.


Les rues sont vides. Pas bien droite sur le vélo mais enfin seule, Gertrude rase l’asphalte et dans sa tête réinvente une vie où elle ne cesse de reconquérir Montréal. Elle se donne le sentiment de pédaler vers son avenir et ce qui reste derrière laisse l’étonnante impression du grouillement.


Elle dégrise d’une soirée plus bruyante qu’enivrée, session You tube avec la jolie gang, beaucoup trop remplie de vidéo-clip so underground et de gens qui parlent avec ce nouveau terme, « WTF ».


Hier elle et ses compères hurlaient dans un concert engagé, tous pleins de rage et d’une urgence à vivre, minute de silence solennel et tout le barda.


Au lendemain soir ils restent engagés mais préfèrent écouter de vieux clips, toujours pas remis d’avoir raté les années 60.


Le souverainisme ça a du beau, surtout le temps d’une nuit.


Ça perd du sens surtout. Remontant Sainte-Catherine Gertrude a croisé ce gars tout nu accompagné d’un tam-tam. Les membres gesticulant il brandit un drapeau à fleur de lys, qu’elle lui aurait bien foutu au c…


Le Bixi cogne dans la borne.


Gertrude remonte sur Masson.


Avant les mètres d’asphalte propre et l’épicerie bio, une portion de trottoir grouille encore avec véhémence. Ce bout de rue ombragé de jour comme de nuit n’a que les néons roses d’une pizzeria et d’un taudis à bière pour éclairer chichement ses briques.


Floride - Everglades - 2007

Sur le passage ça pue la clope et la pisse. Une femme sort du bar, Thelma défraichie avec jupe en jean et blouson sans manche, grande rose peinte dans le dos. Elle tend des verres à deux types sur le banc et se met à parler pour trois, cherchant à couvrir la voix nasillarde de Madonna qui se déverse depuis l’entrée.


Image d’un autre Épinal de trucks et de Santiag.


Gertrude poursuit son chemin tandis que la rose sur blouson en jean imprègne les nébuleuses de son cerveau. Tout grouille sans qu’elle ne comprenne, comment ça se passe dans la tête de la vieille Thelma, et pourquoi les motards ont élu leur quartier général devant un glacier du centre. Bracelet de cuir et boule pistache…


Elle s’étonne toujours de ces coins de ville où les gens se terminent dans les années 80, des brosses de cheveux dans la nuque et des pantalons skaï, parce qu’ils ont manqué des perspectives, tandis que dans le Mile-End porter une trop grosse monture de lunettes dit que tu en as beaucoup, des perspectives.


Gertrude ouvre la porte de sa chambre. En face d’elle la négligence de sa propre vie, d’une poignée qui se dévisse et d’un poster racorni. Elle enlève ses chaussures, pousse le chat hors du lit et se connecte. Pour savoir si on l’aime, si on la remarque, si on la commente.


A Bruxelles un garçon porté disparu depuis samedi a été retrouvé mort. Elle ne le connaissait que de vue, mais assez pour l’avoir vu exister, sourire et respirer.

Elle l’a vu dans l’évidence de sa vie, de son existence, avec l’évidence qu’il vieillirait entouré de petits enfants, et qu’elle aurait bien l’occasion de lui parler une prochaine fois, oubliant qu’il n’y a rien de moins évident.


Son cœur remis à l’endroit, les larmes dans les surbrillances de l’écran, c’est beau en calice et c’est un rien surfait.


 

Chronique 7: BREF, ou le petit manifeste dérisoire de féminité excédée


Puisque certains succès télévisuels français jouent la carte sexiste sans choquer personne.


Puisque Carrie Bradshaw n’a pas inventé la poudre mais que le gouvernement canadien considère Elle magazine comme relevant du domaine de la culture.


Puisque Cannes relègue les femmes au discours d’ouverture (« Tais-toi ! » disait Bérénice Béjot hier soir), au rôle de muse ou d’ambassadrice de beauté, mais les laissent inaptes à tenir une caméra.


A ce propos, envoyé sur Facebook ce matin.


Je me donne le droit d’écrire un papier qui tient du guide du routard, du courrier du cœur, et du manifeste féministe de vieille fille aigrie.


BREF, j'ai revu ce mec. Rencontré au début de mon périple, Bernard est tombé à l'eau avec les fontes.


Bernard est québécois. Il drague sur le net et peu en vrai. Il a le sens courtois mais il est toujours accompagné de camarades pour éviter les blancs. Bernard promet lacs et montagnes comme le dernier poète ou plus probablement l’escroc magnifique. Dans tous les cas il est fâché avec l’appareil dit téléphone.


C’était une fin de matinée à touiller des idées molles et fades. Les échos vides ricochaient dans ma caboche. Tout de suite ! Il me fallait des montagnes russes, des remue-ménages, des brouhahas, une petite aventure.


Heureusement le dimanche était beau et le printemps dans l'air. Une journée à ne rien faire ou boire un café.


Sous l’injonction, je descends sur Beaubien avec l'envie de l'improviste. Un salut chez David et Caro, ce charmant couple d’amis qui ont la délicatesse de ne pas commencer systématiquement leurs phrases par “Moi et mon chum”, est une agréable introduction à ma petite aventure.


La pétillante Caro au travail, David et son flegme partagent leurs idées sur la hausse des frais de scolarité.


Il serait d’ailleurs bien plus mâture et responsable de consacrer ma chronique aux grèves étudiantes qui continuent d’émouvoir le Québec.


Cet événement de grande ampleur n’a atteint les rivages français que trois mois plus tard. Mes concitoyens sans doute trop pris par la « libération » de leur propre pays, oubliaient le reste du monde. La mobilisation et les sacrifices de la fougueuse jeunesse québécoise, c’est pourtant autre chose que la petite sortie automnale de nos syndicats français accompagnant chaque rentrée scolaire.


La conversation se poursuit avec l’analyse comparative du jeu vidéo Zelda, le chef d’œuvre inégalé sur 64 « The Ocarina of Time » et son avorton sur Game Cube. Deux bombes au troisième niveau et je quitte un David un peu plus réveillé qu’à mon arrivée.


Je m’en vais ensuite vers la Petite Italie et ses vagues impressions de Provence natale.

A l’épicerie Milano j’achète une tranche de mascarpone à 10 dollars, prix de ma nostalgie consolée.


Adjacent à l’épicerie, le café Roma offre le seul véritable expresso de Montréal, tout serré dans une tasse à toute petite anse, si petite qu’elle tient juste pincée au bout des doigts.


Le lieu est étriqué de cacophonies, avec roulis plastique de baby-foot, télévision crachotante, percolateurs usinaires. Les mioches courent et les vieux collés aux murs avec les fanions de football passent le temps. Sur le comptoir les coudes font crisser les grains de sucre en effeuillant les pages. Les serveurs à petites croix dorées font glisser les soucoupes sur le zinc et les touristes ne comprennent rien.


J’aime quand ma tête vient s’amarrer dans ces tempêtes de vie et se décide à remonter vigoureusement de ses limbes endormies.


Café sifflé, le soleil est encore bien haut et deux rues plus loin le marché Jean Talon est tout bienvenu.


Faire le marché c'est tendance, c'est bio, c'est faire un truc de vieux en étant jeune donc c'est cool (Faire du tricot dans le métro parisien, aussi). Mais uniquement au marché Jean Talon (et que dans le métro parisien).


C’est le charme pittoresque et beau comme une carte postale d’achalandages colorés. Mais un peu plus qu’une carte postale, le marché Jean Talon ce sont les hipsters assis à même le béton des trottoirs tandis que les aïeux délestés du soucis d’originalité somnolent sur des chaises en osier. Les tapis de yoga roulés sur les dos des granola jouent des coudes dans les allées et juché sur des cagettes un hippie à guitare qui chante mal, mais qui chante. Enfin d’incurables autres couples qui montrent eux, qu'ils sont en couple.


Et dans ma petite aventure je vois au loin Bernard qui vend des endives.


Ignorer, éviter, assumer? Assumer sans aucun doute. Parce que je ne souffrirai pas la privation du lieu, et parce que j'ai une aptitude naturelle à la confrontation directe.

Je vois Bernard, qui ne me voit pas. Je regarde intensément deux avocats sur un stand. Je me retourne il ne me voit toujours pas.


Je m'approche tout sourire d’été dégagé (je trébuche). Bernard ne me voit toujours pas.

Finalement je dis salut avec toute la conviction d'un concombre, Bernard me voit. Bernard semble content, ou satisfait, et me prend dans ses bras pour une raison que lui seul connaît.


Il dit : ça va? Je dis : ça va? Il dit : l'écriture? Je dis : les endives? On dit : la vie? Il m'offre une endive. Plus mignon que dans mon souvenir Bernard.


C’est alors qu’en gagnant deux points il en perd dix…


La minute masculine est un principe selon lequel les garçons pensent mieux que nous, pour nous, et ont évidemment l'obligeance de nous l'exprimer.


Celui qui en gare de Lyon te montre ses vidéos Iphone pour t’expliquer comment on fait du cinéma.


Celui qui gribouille Toto sur une serviette en papier si tu dis être aux beaux-arts. L’Art ça ne s’apprend pas.


Celui qui pense “ infirmière” quand tu dis “Je suis médecin », « décoratrice » si tu brandis un diplôme d’architecture.


Et Bernard qui d’un jugement aussi hâtif que surfait de ta personne, livre le secret des muses.


"Anne, tu ne profites pas assez du moment présent. C’est pourtant indispensable à la création ».


Bien que la révélation du Carpe Diem m’ait été faite par Robin Williams et « Le cercle des poètes disparus » vers mes huit ou dix ans, j'acquiesçais à cette pertinente leçon de vie d’un sourire indulgent, et rebroussais chemin en croquant dans mon endive, le cœur plus balloté d’amertume que chaviré de bonheur.


Le dernier virage de ma petite aventure faisait le flop de l’indifférence et de la frustration.

Rentrée chez moi je coupais mes betteraves et j'échafaudais les diverses réparties percutantes que mon esprit trop lent n’avait pas eu l’amabilité de me servir au bon moment, comme d'habitude.


Encore aurait-il fallu qu'il daigne les entendre plutôt que de s'écouter parler.


Bref, j’ai revu ce mec.


 

Chronique 6 : Hibernation


Je n’ai rien tourné depuis un an, je n’ai pas cherché de stage, je ne fais plus de sport, et je ne suis pas allée à New-York. En un mois j’ai réussi à me faire traiter de pourceau, petite bourgeoise, gamine lourde, et fille froide.


Enfin j’ai regardé la feuille grande et vide… et blanche…et surtout vide, d’une trop longue comédie romantique dans laquelle je ne me reconnaissais plus.


Mois de Mars, quand remontent des fontes les déchets accumulés sous de trop blancs manteaux.


L’été ranime nos corps et l’hiver nous rafraîchit les idées. Entre temps Le printemps moite et grisailleux écoule sur la vie sa tiédeur, pour la rendre pire que malheureuse, médiocre.


Et pourtant j’aime la vie.


Heureusement, le printemps canadien est la saison des cabanes à sucre.


http://fr.wikipedia.org/wiki/Cabane_à_sucre

Un dimanche de Pâques le joyeux patchwork franco-québecois embarque dans le van de Clara (organisatrice de nos sorties pédagogiques) pour Saint-Anne–des-Plaines et la cabane réservée trois semaines à l’avance, cossue et chaleureuse dans ses rondins de bois.


L’idée prochaine de mes pieds plantés dans la terre, et de mes yeux endormis d’horizons bucoliques apaisait mon esprit. Fatiguée d’en vouloir au monde et surtout fatiguée de moi-même je battais en retraite. Une fois rafraîchie des pluies printanières, je laissais mes griefs contre les travers individualistes de mon environnement, au profit d’un constat plus vrai et pertinent.


C’était l’âge adulte qui depuis huit mois me tendait les bras pour le meilleur et pour le pire.


Dénuée du soutien amical et parental, non confortée dans le bien-fondé de mes opinions, et surtout démise de l’appartenance fusionnelle et protectrice d’un « clan », il ne restait que ma personne… Perdue et vulnérable face à la perte de ce reflet valorisant mais à effet loupe, il demeure beaucoup de doutes, quelque chose d’un début de confiance en soi, et de grandes questions.

(Du moins ce qui reste est bien à vous).


L’émergence soudaine des discussions pré et post natales éveillent de bien loin la fibre maternelle. Parler de mes plans de carrière m’ennuie. Râler n’est plus une boutade mais le risque d’une dégradation sans pitié de ma vie professionnelle et sociale. Désormais je réfléchis avant de parler et une nouvelle rencontre se trouve d’autant plus stimulée par l’intérêt professionnel avoué.


Perspective réjouissante quand à mes futures relations humaines.


La voiture rangée sur un parking de plusieurs vingtaines de places, nous débarquons dans la plus pittoresque salle des fêtes de resort américain, boule disco et hauts plafonds.

Assis aux tablées de tréteaux nous apprécions la promiscuité offerte avec deux cent autres personnes, ainsi que le service des plus efficaces si ce n’est pas des plus frais. Et puisque en Amérique la quantité prévaut sur la qualité, c’est à volonté que nous nous resservons en omelette froide, saucisses cocktail et bière coupée à l’eau.


A la fin du repas résonne le téléphone de Clara « Bonjour nous avons une réservation au nom de XXX ».



Dans le blanc de nos yeux et nos ventres affligés nous prenons conscience de l’erreur.

Repus nous sortons, et découvrons à quelques mètres la dite cabane qui venait de perdre un couvert de sept personnes. Quelques photos de moutons grillagés nous consolent tant bien que mal avant de s’en retourner aux réalités d’un dimanche soir gris et le ventre ballonné.


C’est le temps des choix, entre l’abdication au foyer traditionnel et la poursuite peut-être plus puérile que courageuse d’une carrière sans sécurité financière et aux tardives probabilités de procréation.


Pourtant j’ai confiance en l’avenir.


Car être adulte c’est aussi arrêter de dépenser de l’énergie dans ce qui n’en vaut pas la peine, donc se foutre plus souvent la paix, ne rien attendre des autres, ne rien exiger, éviter de se faire du mal, accorder une importance relative aux évènements, mieux accepter ce qui vient et surtout le bon.


Considérant que la rédaction d’un long métrage est une aventure fournie d’assez d’émotions pour se suffire à elle-même. Considérant que j’ai enfin un boulot pour subvenir à mes besoins. Enfin considérant que certaines personnes m’estiment professionnellement et d’autres m’apprécient amicalement, et ce dans un recours très limité aux substances désinhibantes.


Il faudrait alors croire que j’approcherai quelque chose qui ressemblerait presque à moi-même.


A l’aube de mes 26 ans qui sonnèrent le début de cette hibernation, je repensais à l’image que petite, empâtant le vernis de ma mère sur mes ongles, je me faisais de la jeune femme égyptologue, aventurière, épanouie, forte, sensuelle, amoureuse, grandiose, mâture et riche, une Lara Croft en devenir en somme.

Et constatais la grande gamine sans plan de carrière précis que je suis.


Je confiais cet état d’âme à mon père qui me répondit : « Tant mieux, c’est que tu es jeune, ne deviens jamais sérieuse. À 65 ans, je suis toujours aussi con qu’à 20 et j’attend juste de retrouver mes copains».


De la cabane à sucre perdurera une anecdote à conter, ainsi que la pensée perplexe et très snob pour tous les gens attablés dans cette salle des fêtes et considérant la dégustation d’omelette froide comme une agréable activité pour un dimanche de Pâques d’une année sur l’autre.


J’ai pointé mon nez dehors ce samedi. En une nuit Montréal a bourgeonné et les couleurs partout éclatent tandis que des tatoués rient aux terrasses. Il est encore temps de sourire. Puisque l’âge adulte, c’est aussi un premier été à Montréal qui s’en vient.










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